Temps de travail effectif : le temps de trajet peut-il être pris en compte ?

2023-08-16T10:31:43+02:0016 août 2023|

La question de la définition du temps de travail effectif et de ses frontières a nourri et nourrit encore aujourd’hui un contentieux non négligeable. Ainsi rejaillit régulièrement la question de la porosité entre temps de travail effectif et temps de trajet professionnel, respectivement définis par les articles L.3121-1 et L.3121-4 du Code du travail.

La question se pose alors, avec une acuité renforcée, pour les salariés qui occupent des fonctions itinérantes sans être soumis à une convention de forfait en jours.

S’il est classique et aisément admissible que le temps de trajet pour se rendre d’un lieu de travail à un autre lieu de travail constitue un temps de travail effectif (Soc. 16 juin 2004, n°02-43.685).

Tel est moins le cas d’un trajet domicile-lieu de travail, en particulier lorsque ce dernier est variable, comme c’est le cas des salariés itinérants.

Ainsi, le temps de trajet d’un salarié commercial itinérant entre son domicile et ses clients en début et fin de poste doit-il être pris en compte dans le décompte de son temps de travail, lorsque le parcours de sa tournée commerciale est défini par l’employeur ? Telle était la question posée à la Chambre sociale de la Cour de cassation dans l’arrêt soumis à l’étude du 23 novembre 2022 (Soc. 23 nov. 2022, FP-B+R, N°20-21.924).

En l’espèce, un salarié recruté comme attaché commercial se rendait chez ses clients à l’aide du véhicule mis à disposition par son employeur.

Or, ce dernier réalisait une partie de ses communications téléphoniques professionnelles en kit main libre sur le chemin qui le menait de son domicile à son premier client puis de son dernier client à son domicile, sans que ce temps ne fasse l’objet d’une rémunération.

Ce qui conduit l’intéressé à saisir les juridictions prud’homales d’une demande en paiement d’un rappel de salaire à titre d’heures supplémentaires correspondant à ses temps de trajets de début et de fin de journée professionnelle accompagnant une demande en résiliation judiciaire.

Les juges du fond firent droit à ses demandes en considérant que ces deux trajets journaliers correspondaient effectivement à du temps de travail effectif devant être rétribué en tant que tel.

L’employeur, insatisfait de cette décision, forma un pourvoi en cassation, que la chambre sociale va rejeter au terme d’un raisonnement construit sur la définition du temps de travail.

 

Reprécisions sur la définition du temps de travail

L’article L.3121-1 du Code du travail définit le temps de travail effectif comme le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l’employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer à des occupations personnelles.

Sa frontière avec le temps de déplacement professionnel est elle-même identifiée au sein du même code à l’article L.3121-4 qui précise que le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d’exécution du contrat de travail n’est pas un temps de travail effectif, bien qu’il doive faire l’objet d’une compensation lorsqu’il excède le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu de travail.

Ainsi, la situation des travailleurs qui n’ont pas de lieu de travail fixe ou habituel a également pu faire l’objet d’une prise d’une position de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) considérant que constituent du « temps de travail » le temps de déplacement que ces travailleurs, tels que celui de l’espèce considérée, consacrent aux déplacements quotidiens entre leur domicile et les sites du premier et du dernier client désignés par leur employeur.

 La Chambre sociale de la Cour de cassation va considérer que le fait que la CJUE retient que les notions de « temps de travail » et de « période de repos » constituent des notions de droit de l’Union qu’il convient de définir de façon autonome, selon les caractéristiques objectives, dont les Etats membres ne sauraient déterminer unilatéralement la portée.

La Chambre sociale va aussi rappeler sa propre jurisprudence qui considérait que le mode de rémunération des travailleurs dans une situation dans laquelle les travailleurs n’ont pas de lieu de travail fixe ou habituel et effectuent des déplacements quotidiens entre leur domicile et les sites du premier et dernier clients désignés par leur employeur relève, des dispositions pertinentes du droit national et qu’en application de l’article L.3121-4 du Code du travail, le temps de déplacement qui dépasse le temps normal de trajet, qui n’est pas du temps de travail effectif, doit faire l’objet d’une contrepartie, soit sous forme de repos, soit sous forme financière (Soc. 30 mai 2018, n°16-20.634).

 

Un temps de trajet peut être du temps de travail effectif

La Cour de Cassation affirme dans le présent arrêt un infléchissement, en considérant désormais que, lorsque les temps de déplacements accomplis par un salarié itinérant entre son domicile et les sites des premiers et derniers clients répondent à la définition du temps de travail effectif, ces temps ne relèvent pas du champ d’application de l’article L.3121-4 du Code du travail.

En l’espèce, le salarié devait, en conduisant, pendant ses déplacements, grâce à son téléphone portable professionnel et son kit main libre, dans le véhicule mis à sa disposition par la société, être en mesure de :

  • fixer des rendez-vous,
  • appeler et répondre à ses divers interlocuteurs, clients, directeur commercial, assistantes et techniciens.

Il exerçait des fonctions de « technico-commercial » itinérant, ne se rendait que de façon occasionnelle au siège de l’entreprise pour l’exercice de sa prestation de travail et disposait d’un véhicule de société pour intervenir auprès de ses clients de l’entreprise répartis sur sept départements éloignés de son domicile. Cela le conduisait, parfois, à la fin d’une journée de déplacement professionnel, à réserver une chambre d’hôtel afin de pouvoir reprendre, le lendemain, le cours des visites programmées.

 Il était alors manifeste aux yeux des juges que pendant les temps de trajet ou de déplacement entre son domicile et les premier et dernier clients, l’intéressé devait se tenir à la disposition de l’employeur et se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer à des occupations personnelles.

Ainsi, ces temps de déplacement devaient être qualifiés de temps de travail effectif et épouser le régime juridique dédié, y compris en termes de rémunération.

De ce fait, la posture de la Chambre sociale demeure ici nuancée, en ce qu’il faudra procéder à un premier travail de qualification autour de la définition du temps de travail effectif, sans pouvoir invoquer l’automaticité de la reconnaissance en temps de travail effectif des temps de trajets de début et de fin de poste commerciaux itinérants.

Seule une étude des sujétions pesant sur le salarié pendant ces trajets permettra alors d’en déduire, comme le montrait l’espèce ayant donné lieu à l’arrêt, la qualification de temps de travail et la déduction des conséquences indemnitaires correspondantes.

 

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