À l’occasion d’un litige concernant un salarié qui avait opportunément pris sa retraite en cours de licenciement pour éviter de perdre le bénéfice de sa retraite supplémentaire à prestations définies, la Cour de cassation vient préciser à quelles conditions un départ en retraite peut constituer une rupture abusive (Cass. soc., 20 mars 2024, n°22-20.880).
L’enjeu de la retraite supplémentaire
Peu après avoir été révoqué de son mandat de directeur général, un cadre dirigeant est convoqué à un entretien préalable en vue d’un licenciement pour faute grave. Avant même que la procédure ne soit achevée, ce salarié, éligible à une pension de retraite, informe son employeur de son départ à la retraite, effectif dès le surlendemain.
Après avoir quitté l’entreprise, il demande à bénéficier du régime de retraite supplémentaire à prestations définies réservé aux cadres dirigeants présents dans les effectifs de l’entreprise jusqu’à la fin de leur carrière.
Les régimes à prestations définies mis en place avant le 5 juillet 2019, comme c’était le cas en l’espèce, devaient conditionner le versement des droits à la présence du bénéficiaire dans l’entreprise au moment de son départ à la retraite pour que les contributions patronales les finançant bénéficient d’un régime social de faveur (CSS art. L 137-11). Ces régimes sont dits « à droits aléatoires » par opposition à ceux instaurés depuis le 5 juillet 2019 et fonctionnant à droits certains.
Après avoir essuyé un refus, il saisit la juridiction prud’homale, à laquelle il demande notamment d’ordonner à son employeur de remettre à l’assureur les documents nécessaires pour bénéficier de ce régime de retraite. La Cour d’appel fait droit à sa demande.
L’employeur se pourvoit en cassation. Devant la Haute Juridiction, il soutient que le salarié a commis un abus de droit en faisant valoir ses droits à la retraite pour échapper aux conséquences d’un licenciement pour faute grave.
L’enjeu est de taille, puisque le départ à la retraite du salarié lui a permis d’échapper au licenciement et, ainsi, de remplir la condition d’achèvement de sa carrière dans l’entreprise requise pour bénéficier des prestations du régime de retraite supplémentaire à prestations définies. La caractérisation d’un abus de droit pourrait entraîner sa condamnation à indemniser l’employeur des sommes versées à ce titre en application de l’article L 1237-2 du Code du travail.
Il faut noter que le départ à la retraite à l’initiative du salarié ouvre également droit à une indemnité de départ à la retraite légale (C. trav. art. L 1237-9) ou bien conventionnelle ou contractuelle si elle est plus favorable, au contraire du licenciement pour faute grave, qui est privatif d’indemnités de rupture.
Liberté de partir à la retraite en cours de licenciement
Absence d’abus
Tout en rappelant que la rupture d’un contrat à durée indéterminée à l’initiative du salarié ouvre droit, si elle est abusive, à des dommages-intérêts pour l’employeur, la Cour de cassation balaie l’argumentation du pourvoi.
La Cour d’appel a confirmé que le salarié avait le droit de faire valoir ses droits à la retraite même pendant une procédure de licenciement disciplinaire. D’une part, il avait informé son employeur de son départ imminent à la retraite, prévu pour le lendemain, et avait demandé la liquidation de sa retraite pour le surlendemain. D’autre part, son contrat de travail ne stipulait pas de préavis en cas de départ à la retraite.
La Cour d’appel a également constaté que le salarié remplissait la condition de présence dans les effectifs de l’entreprise au moment de la liquidation de sa retraite, comme le prévoyait le régime de retraite supplémentaire de l’entreprise. En conséquence, elle a ordonné à l’employeur de remettre à l’assureur les documents nécessaires pour permettre au salarié de bénéficier de ce régime de retraite.
Il faut noter que le contentieux du caractère abusif de la rupture du contrat de travail à l’initiative du salarié concerne le plus souvent la démission. À titre d’illustrations, constitue une rupture abusive du contrat de travail le fait pour un mannequin de rompre brusquement son contrat de travail au cours de la journée de présentation de la collectio,n qui comprenait des modèles créés sur ses propres mesures (Cass. soc. 19 juin 1959 n° 58-40.515), pour un VRP de prospecter pour un concurrent avant sa démission et de n’informer son employeur de cette situation que lorsque celui-ci le surprend lors d’un salon sur le stand du concurrent (Cass. soc. 1 avril 1992 n° 88-42.056) ou encore pour un chauffeur de poids lourd de conserver des documents importants, en l’occurrence les disques tachygraphiques du camion (Cass. soc. 4 juin 1987 n° 84-45.536).
La Cour de cassation ne s’était pas prononcée, à notre connaissance, avant l’arrêt du 20 mars 2024, sur le bénéfice des prestations prévues par un régime à prestations définies à droits aléatoires en cas de départ à la retraite en cours de procédure de licenciement. On rappellera qu’elle a jugé que la perte d’une chance de bénéficier des prestations prévues par un régime à prestations définies à droits aléatoires subie par un salarié victime d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse doit être indemnisée (Cass. soc. 11 mai 2011 n° 09-71.350).
Pas de préavis de départ à la retraite en cours de licenciement
Les juges du fond ont considéré qu’aucun préavis n’était dû par le salarié, car son contrat de travail ne prévoyait un préavis de 6 mois qu’en cas de démission ou de licenciement mais non en cas de départ à la retraite en cours de licenciement.
Conformément à l’article L 1237-10 du Code du travail, le préavis que doit respecter un salarié démissionnant pour prendre sa retraite est équivalent, sauf dispositions conventionnelles plus favorables, au préavis prévu en cas de licenciement selon l’article L 1234-1 du même Code. Ce préavis est donc d’un mois pour une ancienneté comprise entre 6 mois et 2 ans, et de deux mois pour une ancienneté d’au moins 2 ans. Pour l’appréciation du caractère plus favorable d’un préavis conventionnel, lorsque l’initiative du départ à la retraite est le fait du salarié, on peut, à notre sens, transposer la jurisprudence rendue par la Cour de cassation en cas de démission et selon laquelle seul un délai plus court est plus favorable au salarié (voir, par exemple, Cass. soc. 19 juin 1996 n° 93-44.728).
Toutefois, lorsque le salarié est tenu à un préavis et qu’il ne s’y conforme pas, l’inexécution du préavis se résout par le versement par le salarié d’une indemnité compensatrice (Cass. soc. 18 juin 2008 n° 07-42.161) égale aux salaires et avantages qu’il aurait perçus s’il avait travaillé (Cass. soc. 17 décembre 1987 n° 85-42.089).
Preuve à la charge de l’employeur
Enfin, la Cour de cassation rappelle que c’est à l’employeur qu’il appartient de rapporter la preuve de l’abus de droit du salarié, conformément à la jurisprudence constante rendue en matière de démission abusive (Cass. soc. 22 juin 1994 n° 90-42.143; Cass. soc. 12 février 2002 n° 99-43.858 et Cass. soc. 29 janvier 2002 n° 98-44.430).
La décision
Le salarié peut exercer son droit à la retraite dès qu’il remplit les conditions requises, même si une procédure de licenciement disciplinaire est en cours. Aucun abus n’est à déplorer de sa part s’il informe l’employeur de son départ à la retraite volontaire, effectif dès le lendemain, surtout lorsque son contrat de travail ne spécifie pas de préavis dans ce contexte. La condition de présence du salarié dans les effectifs de l’entreprise lors de la liquidation de ses droits à retraite prévue par le régime de retraite supplémentaire mis en place dans l’entreprise étant remplie, l’employeur doit remettre à l’assureur les documents nécessaires au bénéfice dudit régime de retraite.
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