Modification du lieu de travail : de nouveaux éléments pour identifier le secteur géographique

2024-11-02T16:31:51+01:002 novembre 2024|

Pour la Cour de cassation, les frais supplémentaires générés par l’utilisation du véhicule personnel constituent un critère pouvant être pris en compte pour apprécier l’étendue du secteur géographique et déterminer si la modification du lieu de travail du salarié constitue une modification de son contrat de travail (Cass. soc., 24 janvier 2024, n°22-19.752).

 

Toute modification du lieu de travail n’entraîne pas un changement du contrat de travail

En l’absence de clause spécifique stipulant le lieu de travail ou de clause de mobilité, et à condition que la nature de l’emploi n’implique pas une certaine mobilité géographique ou n’ait pas un caractère exceptionnel, c’est le changement de secteur géographique qui détermine la modification du contrat de travail.

Bien que la Cour de cassation ait introduit le concept de secteur géographique, elle n’en a donné aucune définition précise, demandant simplement que l’évaluation de l’identité du secteur géographique repose sur des éléments objectifs (Cass. soc. 4 mai 1999 n° 97-40.576). Il revient donc aux juges du fond de déterminer, à partir d’un faisceau d’indices, si la mutation intervient ou non dans le même secteur géographique, la Cour de cassation exerçant son contrôle sur ce point.

Parmi les critères retenus par la jurisprudence on retrouve :

–  l’identité du bassin d’emploi (Cass. soc. 23 mai 2013 n° 12-15.461 ; Cass. soc. 20 février 2019 n° 17-24.094) ;

–  la distance entre les deux lieux de travail et leur desserte par les transports publics (Cass. soc. 15 juin 2004 n° 01-44.707 ; Cass. soc. 4 mars 2020 n° 18-24.473).

–  le réseau routier et les conditions de circulation (Cass. soc. 27 septembre 2006 n° 04-47.005; Cass. soc. 4 mars 2020 n° 18-24.473).

Les juges procèdent souvent à un examen combiné de ces différents éléments pour apprécier si la nouvelle affectation constitue un simple changement des conditions de travail relevant du pouvoir de direction de l’employeur et qui s’impose donc, en principe, au salarié ou une modification du contrat de travail nécessitant l’accord préalable de ce dernier.

Dans l’arrêt du 24 janvier 2024, qui constitue une nouvelle illustration en la matière, la chambre sociale de la Cour de cassation se prononce en fonction d’éléments nouveaux.

 

Un écart de 35 km entre le site d’emploi et le nouveau lieu d’affectation

En l’espèce, une salariée avait été informée que son lieu de travail devait être transféré à plusieurs kilomètres. À la suite de sa contestation, elle avait été licenciée pour faute grave, licenciement considéré comme abusif par la Cour d’appel, qui a estimé que les deux lieux de travail ne faisaient pas partie du même secteur géographique, en s’appuyant notamment sur les moyens de transport à disposition.

À l’appui de son pourvoi, l’employeur faisait valoir que seulement 35 km séparaient l’ancien et le nouveau lieu de travail, les deux sites appartenant par ailleurs au même département et dépendant de la même chambre de commerce et d’industrie. Il en déduisait que la modification du lieu de travail s’opérait dans le même bassin d’emploi et le même secteur géographique, et constituait donc un simple changement des conditions de travail. Arguments rejetés par la chambre sociale de la Cour de cassation.

 

L’absence de transports en commun facilement accessibles et de covoiturage est prise en compte…

Confirmant la position des juges du fond, la Haute Juridiction considère que ces derniers avaient bien fait ressortir que les deux localités ne faisaient pas partie du même secteur géographique :

  • celles-ci n’étaient pas situées dans le même bassin d’emploi,
  • au vu des horaires de travail il était manifeste que le covoiturage était difficile à mettre en place,
  • l’employeur ne produisait aucune pièce permettant de démontrer que les transports en commun étaient facilement accessibles entre les deux communes aux horaires de travail de la salariée.

Il faut noter que traditionnellement, la Haute Juridiction a tendance à considérer que la facilité de déplacement et l’existence de moyens de transport en commun sont des critères plus déterminants que celui de la distance proprement dite entre l’ancien et le nouveau lieu de travail.

Elle avait en effet déjà jugé qu’une distance de 43 km entre deux sites (donc supérieure à celle constatée ici), le second étant accessible par le train et le bus, ne constituait pas, en soi, une modification du lieu de travail (Cass. soc. 16 novembre 2010 n° 09-42337).

 

… ainsi que la fatigue et les frais engendrés par l’utilisation du véhicule personnel

Pour répondre à l’argument de l’employeur selon lequel le trajet entre les deux sites représentait seulement 36 minutes en voiture via de grands axes routiers et autoroutiers, les juges ont retenu un critère inhabituel : l’usage du véhicule personnel en matière de fatigue et de frais financiers générait, en raison des horaires et de la distance, des contraintes supplémentaires qui modifiaient les termes du contrat

L’ensemble de ces éléments amène la chambre sociale de la Cour de cassation à conclure, tout comme les juges du fond, qu’il y a eu modification du contrat de travail. Par conséquent, l’employeur a commis une faute contractuelle en imposant un nouveau lieu de travail à la salariée et ne pouvait pas lui reprocher son refus de l’accepter.

L’employeur n’ignorait sans doute pas que le nouveau lieu de travail n’était desservi par aucun transport en commun. En imposant la nouvelle affectation à la salariée, il l’obligeait de fait à utiliser son véhicule personnel et à supporter les frais supplémentaires implicites. L’équilibre économique même du contrat en était modifié, et l’accord exprès de la salariée était donc requis.

 

La Décision :

Ayant relevé que le site d’emploi et le nouveau site d’affectation étaient distants de 35 kilomètres et n’étaient pas situés dans le même bassin d’emploi, qu’au vu des horaires de travail il était manifeste que le covoiturage était difficile à mettre en place, que l’employeur ne produisait aucune pièce permettant de démontrer que les transports en commun étaient facilement accessibles entre les deux communes aux horaires de travail de la salariée, et que l’usage du véhicule personnel en matière de fatigue et de frais financiers générait, en raison des horaires et de la distance, des contraintes supplémentaires qui modifiaient les termes du contrat, la cour d’appel a fait ressortir qu’ils ne faisaient pas partie du même secteur géographique. Par conséquent, l’employeur avait commis une faute contractuelle en imposant le nouveau lieu d’affectation à la salariée et ne pouvait pas lui reprocher son refus d’intégrer ce site.

 

Notre cabinet d’avocats à Nice est spécialisé en Droit du Travail. Vous pouvez aussi nous contacter pour être conseillé en cas de révision des clauses de mobilité de votre contrat.

 

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