L’envoi de messages privés via la messagerie professionnelle, même racistes, n’est pas fautif

2024-12-01T17:40:39+01:004 décembre 2024|

Pour la Cour de cassation, un employeur ne peut pas licencier pour motif disciplinaire un salarié pour l’envoi de messages privés via la messagerie professionnelle, même racistes, dès lors qu’il s’agit de messages privés non voués à être rendus publics (Cass. soc., 6 mars 2024, n°22-11.016).

La vie personnelle du salarié ou la vie professionnelle, la frontière peut être compliquée. En particulier lorsque, comme dans l’affaire jugée ici par la Cour de cassation, des propos racistes et xénophobes sont échangés par une salariée avec ses collègues au moyen de la messagerie professionnelle de l’entreprise.

Cette affaire donne l’occasion à la chambre sociale de la Cour de cassation de confirmer sa jurisprudence, constante en la matière, et récemment rappelée par son assemblée plénière à l’occasion d’arrêts relatifs à la recevabilité d’une preuve déloyale ou illicite.

Un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut pas, en principe, justifier son licenciement disciplinaire.

En l’espèce, une salariée d’une caisse de sécurité sociale avait diffusé des propos racistes et xénophobes à ses collègues via la messagerie professionnelle mise à sa disposition. En raison d’une erreur d’envoi par l’un des destinataires, l’employeur a pris connaissance de ces courriels discriminatoires et a licencié la salariée pour faute grave en raison du contenu de ces messages.

La salariée a contesté son licenciement, arguant que les faits reprochés relevaient de sa vie privée et ne pouvaient justifier un licenciement disciplinaire. La cour d’appel lui a donné raison, estimant que l’envoi de messages privés via la messagerie professionnelle, même racistes, relevait de sa vie personnelle, car ils étaient qualifiés de « personnels et confidentiels ». Elle a conclu que l’employeur ne pouvait pas se baser sur leur contenu pour licencier la salariée pour faute et a jugé le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse. L’employeur a formé un pourvoi en cassation.

La Cour de cassation juge, de manière constante, qu’un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut pas justifier, en principe, un licenciement disciplinaire, sauf s’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail (Cass. soc. 30 septembre 2020 n° 19-12.058 ; Cass. soc. 4 octobre 2023 n° 21-25.421).

C’est ce principe classique qu’affirme, dans un premier temps, la Cour de cassation, en prenant soin de rappeler que le salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de l’intimité de sa vie privée.

La salariée avait-elle manqué aux obligations découlant de son contrat de travail en écrivant un courriel raciste et xénophobe à l’aide de sa messagerie professionnelle ? C’est ce que soutenait l’employeur, à l’appui de son pourvoi.

Pour rejeter ce pourvoi, la Cour de cassation s’appuie sur la décision récente de son assemblée plénière (Cass. ass. plén. 22 décembre 2023 n° 21-11.330). Appliquant le principe du respect de la vie personnelle du salarié, l’assemblée plénière a jugé qu’une conversation privée qui n’est pas destinée à être rendue publique ne peut pas constituer un manquement du salarié aux obligations découlant du contrat de travail.

Elle en a déduit, dans cette affaire, que les propos homophobes échangés par des salariés à propos d’un de leurs collègues sur la messagerie d’un compte Facebook installée sur un poste professionnel ne justifiait pas un licenciement disciplinaire.

La chambre sociale de la Cour de cassation, s’appuyant sur les constats de la cour d’appel, en vient à la même conclusion, au vu du respect de la vie personnelle des individus.

Premiers constats des juges du fond, approuvés par la Cour de cassation :

–  les messages litigieux s’inscrivaient dans le cadre d’échanges privés à l’intérieur d’un groupe ;

–  pas destinés à devenir publics ;

–  connus par l’employeur à la suite d’une erreur d’envoi.

Autrement dit, les juges relèvent que les messages n’étaient destinés qu’à peu de personnes, soit seulement deux collègues de travail, et n’avaient manifestement pas vocation à être diffusés hors d’un cadre restreint.

Selon nous, a contrario, si les messages avaient « fuité », l’employeur aurait-il pu s’en prévaloir à l’appui d’un licenciement ?

Si, compte tenu du caractère choquant des messages, des salariés s’étaient plaints auprès de l’employeur, un licenciement non disciplinaire motivé par le trouble au bon fonctionnement de l’entreprise aurait pu être envisagé (en ce sens, Cass. soc. 30 novembre 2005 n° 04-13.877 et 04-41.206).

En cas de diffusion des messages à l’extérieur de l’entreprise, l’employeur aurait pu se placer sur le terrain disciplinaire. Par exemple, l’envoi d’injures antisémites à un tiers extérieur à l’entreprise, via la messagerie professionnelle, permettant d’identifier le nom de l’employeur, a été jugé fautif (Cass. soc. 2 juin 2004 n° 03-45.269).

… Même sur une messagerie professionnelle…

Les messages avaient été envoyés à partir de la messagerie professionnelle, mais il ressort de l’arrêt d’appel qu’ils avaient tous expressément été identifiés par la salariée comme étant « personnels et confidentiels ».

À ce titre, il est de jurisprudence constante que les courriels adressés et reçus par un salarié à l’aide de la messagerie professionnelle sont présumés avoir un caractère professionnel, et sont par conséquent passibles de sanctions (Cass. Soc. 2 juin 2004 n° 03-45.269). Si, toutefois, les messages sont identifiés comme étant personnels, ils sont couverts par le secret des correspondances (Cass. Soc. 16 mai 2013 n° 12-11.866). L’employeur ne peut les invoquer à l’appui d’une sanction disciplinaire que si leur contenu est en rapport avec l’activité professionnelle et ne revêt pas un caractère privé (Cass. Soc. 2 février 2011 n° 09-72.450). Ce n’était pas le cas ici.

Il faut noter que dans l’arrêt d’assemblée plénière du 22 décembre 2023, le même principe a été retenu à propos de messages provenant d’un compte Facebook personnel. La jurisprudence admet que, même installée sur l’outil professionnel, la messagerie personnelle comme la messagerie personnelle instantanée reste couverte par le secret des correspondances (Cass. crim. 24 mars 2020 n° 19-82.069; Cass. Soc. 23 octobre 2019 n° 17-28.448).

… Dès lors qu’ils n’ont pas eu de retentissement dans la sphère professionnelle

L’employeur faisait valoir qu’en tant qu’employée d’une caisse de sécurité sociale, la salariée était soumise au principe de neutralité et de laïcité, applicable aux salariés exerçant une mission de service public conformément à l’article 1er de la Constitution. Ainsi en tenant des propos racistes lors de l’envoi de messages privés via la messagerie professionnelle, la salariée aurait enfreint ces principes.

Un argument là aussi balayé par la Cour de cassation qui reprend, à nouveau, les constats des juges du fond. La lettre de licenciement ne mentionnait pas que les propos tenus auraient eu une incidence sur l’emploi de la salariée, dans ses relations avec les usagers ou avec les collègues.

L’employeur ne rapportait pas non plus la preuve que les écrits de la salariée auraient été connus en dehors du cadre privé et à l’extérieur de la caisse ni que son image aurait été atteinte.

Les juges en déduisent l’absence de violation du principe de neutralité et de laïcité applicable aux agents exerçant une mission de service public.

Il faut noter qu’a contrario, si l’employeur avait été en mesure de prouver un comportement raciste ou xénophobe de la salariée envers les usagers de la caisse, il aurait pu se placer sur le terrain disciplinaire. Mais la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, s’en tenait exclusivement aux propos tenus par la salariée dans le cadre d’une conversation privée.

Pas d’abus dans l’usage de la messagerie professionnelle à des fins personnelles

Dernier argument avancé par l’employeur : l’utilisation abusive du matériel informatique mis à la disposition de la salariée par la caisse, en violation du règlement intérieur de la caisse de sécurité sociale.

La Cour de cassation, s’appuyant sur la décision des juges du fond, note que bien que le règlement intérieur interdise aux salariés d’utiliser les équipements de l’employeur à des fins personnelles sans autorisation préalable, y compris dans le domaine de l’informatique, un salarié peut néanmoins utiliser la messagerie professionnelle pour envoyer des messages privés tant qu’il n’en abuse pas. Selon les juges du fond, l’envoi de 9 messages privés en 11 mois à partir de la messagerie professionnelle n’était pas excessif, indépendamment de leur contenu, qui était couvert par le secret des correspondances.

Il faut noter que les juges peuvent en revanche considérer qu’un salarié fait une utilisation abusive du matériel informatique justifiant son licenciement disciplinaire s’il y consacre trop de temps, au détriment de son travail ou si une utilisation à titre personnel revêt un caractère systématique (voir, par exemple, Cass. soc. 18 mars 2009 n° 07-44.247 ; Cass. soc. 26 février 2013 n° 11-27.372).

La décision

Le salarié a droit, même pendant ses heures de travail, au respect de l’intimité de sa vie privée. En conséquence, sauf si cela constitue un manquement à une obligation contractuelle, un motif lié à sa vie personnelle ne peut normalement pas justifier un licenciement disciplinaire. Dans cette perspective, l’employeur ne peut pas utiliser l’envoi de messages privés via la messagerie professionnelle, même racistes, pour motiver un licenciement disciplinaire lorsque :

–  les messages litigieux s’inscrivaient dans le cadre d’échanges privés à l’intérieur d’un groupe de personnes, sans vocation à devenir publics et n’avaient été connus par l’employeur qu’à la suite d’une erreur d’envoi

–  la lettre de licenciement ne mentionnait pas que les opinions exprimées par la salariée dans ces courriels auraient eu une incidence sur son emploi ou dans ses relations avec les usagers ou les collègues, l’employeur ne versant aucun élément tendant à prouver que les écrits de l’intéressée auraient été connus en dehors du cadre privé et à l’extérieur de la caisse et que son image aurait été atteinte, de sorte que le moyen tiré du principe de neutralité découlant du principe de laïcité applicable aux agents qui participent à une mission de service public est inopérant

–  si le règlement intérieur de la caisse interdisait aux salariés d’utiliser pour leur propre compte et sans autorisation préalable les équipements lui appartenant, y compris dans le domaine de l’informatique, un salarié pouvait toutefois utiliser sa messagerie professionnelle pour envoyer des messages privés dès lors qu’il n’en abusait pas et qu’en l’espèce l’envoi de 9 messages privés en l’espace de 11 mois ne peut pas être jugé comme excessif, indépendamment de leur contenu.

 

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