Trajets domicile-travail : temps de travail effectif des salariés itinérants et détermination des contreparties

2024-09-17T22:44:17+02:0017 septembre 2024|

Les temps de trajet entre domicile et lieu de travail ne validant pas les critères de qualification du temps de travail effectif des salariés itinérants n’y sont en principe pas assimilés. Le juge du fond est souverain pour évaluer si le travail réalisé à domicile est suffisamment important pour pouvoir qualifier ces trajets de déplacement entre lieux de travail entraînant la qualification d’un temps de travail effectif. La règle imposant la consultation du CSE pour tout engagement unilatéral de l’employeur définissant les contreparties à ces temps de trajet lorsqu’ils sont anormaux est d’ordre public (Soc., 25 octobre 2023, n°20-22.800).

Cet arrêt vient une nouvelle fois illustrer l’application des critères du temps de travail effectif des salariés itinérants.

D’une part, il établit clairement le pouvoir souverain du juge du fond quant à l’évaluation de l’importance du travail accompli à domicile pour assimiler ou pas ce dernier à un lieu de travail. D’autre part, la chambre sociale impose une application stricte de la règle selon laquelle la contrepartie unilatéralement fixée par l’employeur pour les premiers et derniers trajets anormalement longs doit être soumise à la consultation de représentants du personnel, quitte à ce que cette application se fasse à l’encontre des intérêts du salarié concerné.

Pour le salarié concerné, directeur régional d’une société pour laquelle il effectue des contrôles impliquant une nature essentiellement itinérante de son activité, la reconnaissance comme temps de travail effectif du temps de trajet entre son domicile et ses premiers et derniers lieux d’exécution du travail (chez les clients de l’employeur) présente un enjeu important. Ayant a priori obtenu l’annulation de sa convention de forfait en jours, le salarié cherche naturellement à comptabiliser précisément le temps de travail qu’il a réellement effectué afin de maximiser les demandes en paiement de rappel de salaire pour heures supplémentaires qui en découlent. L’argumentation à l’appui d’une qualification des durées de premiers et derniers trajets en temps de travail effectif des salariés itinérants se fait selon deux angles, finalement aussi infructueux l’un que l’autre.

Le salarié se fonde tout d’abord sur l’idée que ces premiers et derniers trajets sont en réalité des trajets entre deux lieux d’exécution du travail, qui en droit positif sont effectivement assimilés à un temps de travail effectif (Soc. 16 janv. 1996, n° 92-42.354 ; 16 juin 2004, n° 02-43.685 P; 5 mai 2004, n° 01-43.918 P). Ces trajets doivent être distingués de ceux reliant le domicile du travailleur et les lieux d’exécution du travail (Soc. 5 nov. 2003, n° 01-43.109 P ; 31 mai 2006, n° 04-45.217 P), ces derniers n’étant en principe pas assimilés (C. trav., art. L. 3121-4, al. 1er, Soc. 16 mai 2001, n° 99-40.789). Pour convaincre de retenir la qualification de trajet entre deux lieux de travail, le directeur met en avant le travail administratif qu’il effectue régulièrement à son domicile sur demande de son employeur et faisant l’objet d’une indemnité mensuelle spécifique.

Cependant, le volume d’heures hebdomadaires retenu par la Cour d’appel de Paris dans sa décision au moins en partie confirmative du 14 octobre 2020, soit 2h30 en se fondant sur les pièces versées au dossier est souverainement considéré comme insuffisant. La Cour de cassation approuve dès lors la cour d’appel d’avoir rejeté l’importance des tâches administratives accomplies pour conférer au domicile la qualité de lieu de travail. S’il est communément admis que le domicile peut devenir lieu de travail sur demande de l’employeur, il est intéressant de relever ici la liberté laissée aux juges du fond dans leur travail de qualification pour l’appréciation de la consistance des tâches effectuées, ici en termes de volume horaire hebdomadaire.

L’argument du domicile transformé en lieu de travail ne tenant pas, le salarié pouvait tout de même compter sur une démonstration classique. Les critères du temps de travail effectif des salariés itinérants tels qu’issus des critères jurisprudentiels, sont aujourd’hui fondés sur la définition légale précisée à l’article L. 3121-1 du code du travail. Le principe posé par l’article L. 3121-4, alinéa 1er, pour les trajets domicile-travail peut ainsi connaître des exceptions (Soc. 14 déc. 2016, n° 15-19.723 ; 23 nov. 2022, n° 20-21.924; 1er mars 2023, n° 21-12.068), ce qui est ici expressément rappelé par la Cour de cassation en tête de ses motifs, énonçant que les critères de l’article L. 3121-1 écartent l’application de l’article L. 3121-4. En l’absence de critères caractérisés, en revanche, la qualification de temps de travail effectif des salariés itinérants pour ces trajets doit bien être écartée (Soc. 20 déc. 2006, n° 04-48.525). Là, les critères présentés par le directeur régional seront systématiquement écartés par la cour d’appel, pour des motifs approuvés par la chambre sociale.

  • l’existence d’une géolocalisation du véhicule de service utilisé pour les trajets, a été jugée insignifiante en présence d’un interrupteur permettant de l’interrompre lors des trajets depuis ou vers le domicile.
  • l’existence de plannings mensuels et hebdomadaires à l’exécution contrôlée par l’employeur, contrôle s’étendant également aux heures supplémentaires effectuées et modifications d’itinéraires obligatoirement validées par l’employeur, voire jusqu’aux itinéraires eux-mêmes puisqu’un trajet insuffisamment optimisé pouvait être relevé : le contrôle ici allégué ne semble non seulement pas susceptible de s’appliquer aux premiers et derniers trajets impliquant le domicile, mais la cour d’appel relève de plus que le salarié conserve en réalité l’initiative de son circuit quotidien.
  • Il importe peu par ailleurs que le domicile soit ponctuellement celui fourni par l’employeur (Soc. 7 juin 2023, n° 21-12.841), les logements d’étape étant en l’occurrence indiqués par une note de service également invoquée par le salarié pour alléguer d’une forme de contrôle, argument intenable pour le juge du fond dès lors qu’il conservait en réalité le choix de ses « soirées étapes ».
  • La cour d’appel renforce d’ailleurs son motif par une référence au critère décisif du temps de travail effectif d’impossibilité de vaquer à ses occupations personnelles (Soc. 9 mars 1999, n° 96-45.590 ; 6 avr. 1999, n° 97-40.058), critère à écarter en l’espèce dans le cas des trajets depuis et vers les logements d’étape du directeur qui demeurait libre de les agrémenter d’étapes intermédiaires extra-professionnelles.

De manière générale, la Cour de cassation approuve enfin la cour d’appel dans son refus de la qualification de temps de travail effectif au regard du fait que les contrôles des trajets impliquant le domicile étaient pour l’essentiel rétrospectifs, justifiés par la nécessité d’une rémunération compensatrice lorsqu’ils s’avéraient anormalement longs au titre de l’article L. 3121-4, alinéa 2, du code du travail.

Les trajets entre domicile et lieux de travail anormalement longs n’étant par principe plus assimilés à du temps de travail effectif depuis la loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005, l’indemnité compensatrice prévue par l’article L. 3121-4, alinéa 2, ne peut être fixée par le juge sur la base d’une telle assimilation (Soc. 14 nov. 2012, n° 11-18.571). C’est pourtant ce que le salarié demande au juge en l’espèce, non sans raison : il peut s’appuyer sur un engagement unilatéral de l’employeur prévoyant une compensation pour trajet anormalement long équivalente au taux horaire normal de travail. Un tel engagement unilatéral fixant la rémunération prévue par l’article L. 3121-4, alinéa 2, est bien possible, mais légalement encadré. L’article L. 3121-7 prévoit que cette indemnité soit fixée par accord d’entreprise ou de branche, et ce n’est qu’à défaut d’une telle disposition que l’employeur peut, au titre de l’article L. 3121-8, déterminer le montant de l’indemnité après consultation des représentants du personnel dans l’entreprise.

Or en l’espèce, une telle consultation n’a pas eu lieu, ce qui pour la cour d’appel rend l’engagement unilatéral non conforme aux prescriptions légales le prévoyant et donc inapplicable pour la détermination de l’indemnité devant être versée au salarié. Un raisonnement validé par la chambre sociale, invoquant l’appréciation souveraine des éléments de fait et de preuve par le juge du fond. En l’absence de toute norme applicable pour les périodes précédant ou succédant à l’engagement unilatéral, c’est donc au juge qu’il revient de déterminer la contrepartie (Soc. 14 nov., 2012, n° 11-18.571), qui ne doit simplement pas être dérisoire (Soc. 30 mars 2022, n° 20-15.022).

Au moindre doute il est préférable de demander conseil auprès d’un avocat spécialisé en droit du travail pour s’assurer l’application conforme des règles de calcul du temps effectif de travail.

 

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