Conçu comme un outil d’aménagement individuel du temps de travail sur l’année, le forfait annuel en jours ou en heures permet aux salariés qui disposent d’une certaine autonomie dans l’organisation de leurs tâches de moduler la durée et l’horaire de travail sur une période de référence de douze mois, et ce, afin de tenir compte des fluctuations de l’activité. Sa mise en oeuvre peut receler quelques nuances, notamment avec la CCN des commerces de détails non alimentaires.
Pour autant, cela ne dispense pas l’employeur de ses obligations quant à l’évaluation et au suivi régulier de la charge de travail du salarié. L’employeur reste en effet le garant de la santé de ses salariés et doit à ce titre s’assurer que l’organisation du temps de travail par le salarié est équilibrée et raisonnée.
Pour cela, il est en principe attendu des employeurs qu’ils fixent les termes et conditions d’un suivi opérationnel de la durée du travail. Lorsqu’ils ne garantissent pas formellement le respect des durées raisonnables du travail, des repos journaliers et hebdomadaires, la convention de forfait jours encourt la nullité et est inopposable au salarié.
Dans un arrêt du 14 décembre 2022, la chambre sociale nous en livre un bel exemple s’agissant de la convention de forfait annuel en jours prévue par la convention collective nationale des commerces de détails non alimentaires.
En l’espèce, un salarié recruté en qualité de vendeur puis promu directeur de magasin avait signé une convention de forfait annuel en jours, conclue sous l’empire des anciennes dispositions du Code du travail (C. trav., art. L.212-15-3 anc.) et sous l’égide de la CCN des commerces de détails non alimentaires du 9 mai 2012.
En 2017, le salarié avait saisi la juridiction prud’homale afin de solliciter le prononcé de l’inopposabilité de la convention forfait en jours, la résiliation judiciaire de son contrat de travail ainsi que le paiement de diverses sommes au titre de l’exécution et de la rupture du contrat de travail.
Le salarié a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement en mai 2019.
Pour les juges d’appel, les dispositions conventionnelles comportaient un certain nombre de limites et de garanties en termes de droit au repos et prévoyaient un contrôle réel en nombre de jours travaillés. Sa convention collective, la CCN des commerces de détails non alimentaires, précisait notamment qu’un décompte des journées travaillées et de repos devait être établi mensuellement par l’intéressé et validé par l’employeur. A cette occasion un suivi devait être fait par ce dernier.
Toutefois, les faits de l’espèce laissaient entrevoir un contrôle plus ou moins déficient. La société se contentait d’adresser un message au mois d’août à l’ensemble des magasins afin d’ajuster les plannings dans le respect du forfait annuel pour le reste de l’année. De plus, les conditions de forfaits jours étaient seulement « évoquées » lors de l’entretien annuel.
Selon la chambre sociale, le dispositif formalisé par la branche d’activité est insuffisant et ne permet pas « d’instituer de suivi effectif et régulier permettant à l’employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable » de travail.
Par conséquent, le cadre institué par la CCN des commerces de détails non alimentaires « n’est pas de nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables et à assurer une bonne répartition, dans le temps, du travail » du salarié.
La convention de forfait jours encourrait donc la nullité et était réputée inopposable au salarié.
Ainsi, la Haute juridiction, se retranchant derrière des textes qui sanctifient le droit à la santé et au repos du salarié (le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946…), permet dorénavant à l’employeur, de pallier l’insuffisance ou l’imprécision des dispositions conventionnelles et de sécuriser les conventions de forfait jours conclues sur la base d’un accord carencé (C. trav., art. L.3121-65).
Pour cela, il doit organiser lui-même un suivi effectif de la charge de travail afin d’intervenir si les circonstances font apparaitre une organisation lacunaire et déséquilibrée du temps de travail.
Le cabinet d’avocats S. Jourquin à Nice, spécialisé en droit du travail, conseille et défend ses clients sur les affaires relevant de l’application des conventions collectives.
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