Le code du travail ouvre la voie de la réintégration lorsque la rupture est requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse, mais celle-ci est toutefois largement hypothétique car conditionnée à la volonté réciproque des parties (C. trav., art. L. 1235-3).
Néanmoins, il en va différemment en cas de licenciement nul. En effet, lorsque le licenciement est entaché d’une nullité telle que la violation d’une liberté fondamentale, des faits de harcèlement ou une discrimination avérée (C. trav., art. L. 1235-3), le salarié peut, de droit, demander sa réintégration.
Précisons que ni l’employeur, ni le juge ne peuvent dans ce cas s’y opposer (Soc. 14 févr. 2018, n° 16-22.360).
La seule limite au principe tient à l’impossibilité matérielle de réintégrer le salarié dans son emploi ou dans un emploi équivalent.
Il en va par exemple ainsi lorsque le salarié a liquidé ses droits à la retraite (Soc. 14 nov. 2018, n° 17-14.932 ; 13 févr. 2019, n° 16-25.764 ; 8 juill. 2020, n° 17-31.291), lorsque le salarié s’est rendu coupable d’actes de concurrence déloyale après le licenciement (Soc. 25 juin 2003, n° 01-46.479) ou bien en cas de liquidation de l’entreprise (Soc. 20 juin 2006, n° 05-44.256).
Dans ce cas, l’employeur est admis à refuser la réintégration et le salarié se voit allouer une indemnité dont le montant ne peut être inférieur aux salaires des six derniers mois.
Si la réintégration est demandée par le salarié, il est attendu de l’employeur qu’il mette tous les moyens en œuvre pour concrétiser son retour.
Mais cela est-il le cas lorsqu’un salarié qui demande sa réintégration est par ailleurs lié contractuellement à un nouvel employeur ?
Peut-on admettre que la réintégration est matériellement possible alors même que le salarié est sous contrat de travail au moment du prononcé de la nullité du licenciement ? Tel était l’enjeu de l’arrêt rendu par la chambre sociale le 10 février 2021.
En l’espèce, le salarié d’une compagnie aérienne avait été licencié en 2012 pour motif personnel. Estimant que la rupture du contrat de travail était en lien direct avec des agissements de harcèlement moral dont il se considérait victime, le salarié saisissait le conseil de prud’hommes afin d’obtenir la nullité du licenciement. Ayant obtenu gain de cause devant la cour d’appel de Bastia, le salarié sollicitait sa réintégration. Invoquant l’impossibilité matérielle de réintégrer le salarié à raison du lien contractuel qui liait ce dernier à un nouvel employeur, la compagnie aérienne se pourvoyait en cassation.
Par arrêt en date du 10 février 2021, la Cour de cassation précise que « le fait pour le salarié d’être entré au service d’un autre employeur n’était pas de nature à le priver de son droit à réintégration ». (Cass. Soc. 10 févr. 2021, FS-P, n° 19-20.397).
En d’autres termes, le fait pour un salarié d’être lié par un contrat de travail avec un autre employeur au jour où le juge statue sur sa demande ne permet pas de caractériser l’existence d’une impossibilité matérielle de le réintégrer. La chambre sociale rejette ainsi le pourvoi.
Il est vrai que la mise en œuvre pratique de la solution soulève quelques interrogations. La compagnie faisait valoir que la réintégration n’était pas envisageable dès lors que le salarié n’était pas immédiatement disponible au jour du prononcé de la décision. En effet, celui-ci occupait un emploi dont il aurait dû démissionner au préalable, après avoir respecté un délai de préavis de deux mois. Pourtant, la chambre sociale n’y voit pas là une impossibilité matérielle d’orchestrer la réintégration du salarié.
Le droit à réintégration est donc garanti indépendamment de la situation professionnelle du salarié. Le contraire aurait conduit à un non-sens, sauf à reprocher au salarié d’avoir voulu palier les effets d’une rupture irrégulière dont il a subi les conséquences en étant reverser sur le marché de l’emploi.
À l’évidence, le contentieux prud’homal s’inscrit sur un temps long et on ne peut attendre du salarié qu’il reste à la disposition de son employeur dans l’attente d’une possible, mais tout aussi aléatoire, réintégration.
Notons que la solution n’est pas nouvelle puisque la Cour de cassation avait déjà admis que l’emploi ultérieur du salarié chez un autre employeur n’était pas de nature à faire obstacle à la réintégration du salarié (Soc. 21 oct. 1992, nº 90-42.477 ; 22 juin 2004, nº 02-41.689).
D’ailleurs, il est intéressant de relever que la chambre sociale reprend mot pour mot l’attendu tel qu’il était formulé dans l’arrêt de 1992. Par cet arrêt, la Cour de cassation vient donc affiner sa grille de lecture quant à la définition de l’impossibilité matérielle de réintégrer un salarié.
Pour rappel, la réintégration est réputée possible quand bien même les tâches antérieurement occupées par le salarié ont été confiées à un prestataire de services (Soc. 14 sept. 2016, n° 15-15.944).
Il en va également ainsi lorsque le personnel de l’entreprise se montre hostile au retour du salarié (Soc. 24 juin 2014, n° 12-24.623), lorsque l’entreprise rencontre de graves difficultés économiques (Soc. 24 juin 1998, n° 95-44.757) ou lorsque le poste du salarié a été supprimé (Soc. 13 déc. 1994, n° 92-42.454).
Source : Dalloz actualités
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