Lorsqu’un harcèlement moral ou sexuel est dénoncé par un salarié, l’employeur peut suivre une enquête de harcèlement en 3 phases.
1ère phase : le déclenchement
- Recueil de l’information auprès du salarié victime ou tiers (hors alerte collective) par écrit ou oralement ;
- Première écoute du salarié auteur du signalement : identifier et comprendre les faits permettant de prendre des mesures conservatoires et d’organiser le cas échéant l’enquête au plus tôt ;
- Information / Audition du salarié visé par l’auteur du signalement ;
- Mesures transitoires pour protéger la victime ;
- Important : en tout état de cause, respecter la procédure prévue par l’accord, la charte ou le règlement intérieur, à défaut les principes posés par la jurisprudence.
2ème phase de l’enquête : l’investigation
Les principes directeurs de l’enquête ont été consacrés par la jurisprudence :
- Loyauté, impartialité ;
- Sérénité, sécurité ;
- Confidentialité.
Aucune information, autre qu’anonymisée ne doit être divulguée aux parties non impliquées dans l’affaire en cause. Ces principes doivent, ainsi, s’appliquer à toutes les étapes de l’enquête de harcèlement.
C’est au salarié (« victime ») ou « à la personne visée par la dénonciation de faits de harcèlement » d’apporter la preuve du manquement de l’employeur à ces principes (CA Paris 29 août 2018 n° 16/13810).
Les phases de l’enquête de harcèlement :
- Audition des protagonistes : nécessité d’entendre la « victime » (Cass. soc. 5 juillet 2018 n°16-26916) et la personne visée par la dénonciation (CA Paris 20 mars 2018 n° 15/08 694).
L’absence d’audition rend l’enquête de portée limitée et met en doute les témoignages recueillis (CA Rennes 25 avril 2018 n° 14/07 736).
- Recueil des témoignages : il est utile d’établir un questionnaire support aux auditions puis de définir le périmètre des auditions : entendre ceux qui peuvent concourir à la compréhension de la situation (CA Chambéry 13/09/2007 n° 06/02/97, CA Colmar 14/01/2014 n° 12/03069).
Certains des témoins peuvent souhaiter garder l’anonymat. Quelle est alors la portée des témoignages anonymes ? Il a été jugé que le juge ne peut fonder sa décision uniquement ou de manière déterminante sur des témoignages anonymes (Cass soc. 4 juillet 2018, n°17-18.241).
Au terme des auditions, il est impératif d’établir un compte rendu d’audition, qui consiste en la retranscription des déclarations (Cass. crim. 19 juin 2018 n°17-84.485).
- Mesures de protection de la victime / sort du salarié auteur présumé des faits :
Le salarié auteur présumé des faits peut faire l’objet d’une mise en disponibilité provisoire (Cass. soc. 8 mars 2017 n°15-23.503 ; Cass. soc. 5 juillet 2018 n°16-26.916 ; 22 mai 2018, n°16/10011).
L’employeur peut prendre des mesures provisoires adaptées destinées à garantir les intérêts de l’entreprise, pourvu qu’il n’en résulte pas, sans accord du salarié, une modification durable du contrat de travail.
Dans l’attente de l’engagement d’une procédure disciplinaire
La mise en disponibilité provisoire, décidée par l’employeur, doit avoir pour seul objet de permettre le déroulement serein de l’enquête interne rendue indispensable après la révélation de faits graves au sein de l’entreprise où le salarié est affecté. Celle-ci ne doit durer que quelques jours et ne doit pas entraîner de modification durable du contrat de travail de l’intéressé. Suite à la dénonciation de harcèlement, l’employeur a des obligations.
Par ailleurs, il peut aussi faire l’objet d’une mise à pied conservatoire dans l’attente du résultat de l’enquête. L’employeur doit respecter un principe de proportionnalité entre la mise à pied et la situation constatée : CA Paris 22 mai 2018, n°16/10011.
Dans le cas où, l’employeur mène seul l’enquête (CA Montpellier 19 septembre 2018 n° 15/0877 ; CA Paris 27 juin 2018, n° 17/03730 ; Cass. soc. 9 novembre 2017 n°16-15515) il a été jugé que dans cette hypothèse l’employeur ne se fournit pas une preuve à lui-même.
Mais il peut aussi la mener avec une autre personne, en sollicitant le concours d’un autre salarié, sauf si celui-ci est en cause lui-même.
Il peut s’adjoindre le concours d’autres acteurs, même si ce n’est pas obligatoire, s’agissant des IRP (CA Montpellier, 19 septembre 2018, n°15/08771). Il est toutefois fréquent en pratique et vivement conseillé de requérir l’aide des représentants du personnel pour plus d’objectivité.
L’employeur a également la possibilité d’externaliser l’enquête. Dans ce cas, l’enquêteur devra justifier d’une méthodologie.
3ème phase : fin de l’enquête
Restitution de l’enquête :
Parmi les principes directeurs régissant le compte-rendu d’enquête figurent le respect de la vie privée des salariés ainsi que les règles du RGPD.
PROTAGONISTES : aucune obligation de restitution à l’égard du salarié présumé auteur, avant l’entretien préalable (CA Paris 29 août 2018 n° 16/13810) ; les bonnes pratiques imposent une information des salariés à l’issue de l’enquête ;
TÉMOINS : aucune obligation de restitution n’est imposée auprès des témoins ; les bonnes pratiques peuvent prévoir une information à adapter en fonction des conditions de déroulement de l’enquête ;
REPRÉSENTANTS DU PERSONNEL : pas d’obligation d’information sur la nature des sanctions prises ; mais les bonnes pratiques prévoient une information sur les modifications des process et de l’organisation.
Décision de l’employeur : celui-ci a deux options en général.
- Prendre une décision à l’égard de la victime supposée ou à l’égard du salarié visé par la dénonciation.
- L’enquête qui conclut à l’absence de harcèlement ne lie pas le juge (Cass. soc. 8 juin 2010 n°10- 85.170).
Lire d’autres articles rédigés par Stéphanie Jourquin, avocat en droit du travail à Nice, au sujet du harcèlement :